La Presse (Un
article de Marie-Claude
Malboeuf)
«La
lutte aux rides coûte cher. Si cher, que dans
l’espoir de payer moins, des milliers de Québécois
prennent des risques immenses. Faux Botox et faux
agents de remplissage. Injections illégales. Rabais
de groupe. Cliniques achalandées comme des usines…
Le milieu de la santé dénonce les dérives d’un
marché anarchique et l’inaction des autorités.
Des vendeurs de
Botox bidon et de substances censées combler les
rides infiltrent depuis peu le marché québécois avec
leurs produits douteux, qui ont déjà provoqué des
tragédies de l’Australie jusqu’aux États-Unis.»
Faux
Botox, vrais ravages
«Pendant deux mois, au lieu d’utiliser la marque
Botox, une jeune médecin montréalaise a injecté de
la toxine botulinique coréenne aux patients d’un
réseau d’au moins trois cliniques d’esthétique. « Ce
sont les propriétaires, des hommes d’affaires, qui
me la fournissaient et je leur faisais confiance,
explique la jeune femme, qui a requis l’anonymat. Je
ne savais pas que c’était un produit acheté au
rabais et qu’il n’était même pas approuvé par Santé
Canada.
« Un jour, poursuit-elle, ils m’ont montré des
fioles avec des étiquettes pleines de caractères
asiatiques. Ils étaient même prêts à essayer le
produit sur eux! Mais pour que j’injecte, il fallait
à tout le moins que la bouteille soit lisible. »
Estomaqué, le président sortant de l’Association
canadienne de médecine esthétique, Yves Hébert, a
dissuadé sa consœur de recommencer, peu importe la
langue d’étiquetage. « Les produits étrangers ne
sont pas soumis au même contrôle de qualité,
prévient-il. D’une bouteille à l’autre, ils peuvent
être trop concentrés ou pas assez. Et s’ils
contiennent des impuretés, ils peuvent causer de
graves problèmes : des infections jusqu’au choc
anaphylactique et la mort. »
Malgré tout, une infirmière de la couronne nord (qui
ne veut pas être nommée) avoue commander
régulièrement de la prétendue toxine botulinique et
des agents de remplissage de rides, tous fabriqués
en Chine, puis vendus en ligne, sans ordonnance.
Elle en a déjà injecté à ses amies et s’en injecte
toujours elle-même. « Ca m’inquiète un peu, mais
c’est beaucoup moins cher », justifie-t-elle.
Dans les cliniques québécoises, on paie en moyenne
500 $ pour se faire injecter du Botox, et au moins
autant pour se faire injecter un agent de
remplissage. Utiliser soi-même des produits douteux
coûtent entre quatre et dix fois moins. Mais les
risques, eux, sont incalculables. L’infirmière qui
le fait a déjà forcé la dose et eu du mal à parler
pendant deux mois. « Sa bouche ne fermait plus,
explique l’une de ses amies. Une autre fois, en
ouvrant la seringue, on a réalisé que le contenu
était beaucoup trop épais et on l’a jeté. »
Paralysie
« En Océanie, des femmes ordinaires se sont causé
des abcès en s’injectant elles-mêmes des substances
vendues sur l’Internet avec un DVD explicatif. L’une
d’entre elles a même perdu un rein.
Aux États-Unis, des charlatans et des médecins sont
allées jusqu’à injecter du faux Botox fait d’huile à
moteur ou destiné à des souris de laboratoire. Des
patients ont paralysé et ont dû subir une
trachéotomie.
À Laval, la dermatologue Suzanne Gagnon souligne
qu’aucun médecin canadien n’a été impliqué dans une
histoire aussi extrême. Ce qui n’empêche pas les
vendeurs louches de vouloir les appâter. Sa
clinique, Face au temps, a reçu une télécopie et des
courriels lui offrant du faux Botox chinois ou des
agents de remplissage à des prix dérisoires. Il y a
environ huit mois, une vendeuse non autorisée a même
téléphoné, prétendant avoir un rendez-vous. « C’est
de la fraude! », s’indigne la dermatologue.
À l’été 2012, un vendeur similaire a pris contact
avec une autre clinique lavalloise. « En faisant des
recherches à son sujet, on est tombés sur un site de
Botox chinois, indique la technicienne Lucie
Beauchemin. On a ensuite appris que d’autres
médecins avaient été sondés. C’est illégal. »
La Presse a pu joindre ce vendeur en se faisant
passer pour une infirmière. Arrogant et méfiant, le
Torontois a affirmé vendre des agents de remplissage
plutôt que de la toxine botulinique, puis a refusé
d’en dire plus à moins de savoir comment nous
l’avions retrouvé.
Un médecin montréalais a pris le relais à la demande
de La Presse. Il s’est vu proposer deux produits
reconnus à environ 20% de rabais. « Mais le premier
n’est pas approuvé au Canada et le second devrait
plutôt être vendu par une maison de distribution.
Dès qu’on ne passe pas par la filière officielle, on
peut s’interroger sur la composition réelle du
produit et sur ses conditions d’entreposage », dit
l’omnipraticien.»
500 médecins
fautifs
Santé Canada autorise seulement trois marques de
toxines botuliniques pour atténuer les rides : Botox
cosmétique (du laboratoire californien Allergan),
Dysport (fabriqué en Irlande) et Xeomin cosmétique
(fabriqué en Allemagne). Puisqu’il s’agit de
médicaments, seuls les médecins et les pharmaciens
peuvent s’en procurer sans violer la loi. Et seuls
les médecins et les infirmières qu’ils forment et
délèguent peuvent en injecter.
Allergan, qui détient 85% du marché, a doté ses
flacons d’un hologramme, pour les rendre
inimitables. La société nous a déclaré qu’elle
dénonce les cas d’importation illégale et de
contrefaçon à Santé Canada et à la GRC, et qu’elle
collabore ensuite à leurs enquêtes.
Il y a quatre mois, les autorités canadiennes ont
même été interpellées par la Food and Drug
Administration (FDA). L’organisme a alors rendu
publics les noms de 350 médecins américains,
précisant qu’ils s’étaient procuré du Botox de
contrefaçon auprès des fournisseurs appartenant à
Canada Drugs, pharmacie en ligne établie à Winnipeg.
La FDA reprochait déjà à l’entreprise d’avoir vendu
du faux Viagra et un faux médicament contre le
cancer fabriqué en Turquie.
L’entreprise n’a pas répondu à nos demandes
d’entrevue, tandis que Santé Canada nous a déclaré,
par courriel, n’avoir aucune raison de croire que
les Canadiens soient en danger.
« Santé Canada ne protège pas le public contre les
médicaments contrefaits », estime au contraire Amir
Attaran, professeur aux facultés de droit et de
médecine de l’Université d’Ottawa. À ses yeux, les
fonctionnaires canadiens sont trop passifs et les
règles internationales ne sont pas assez sévères.
« Les pénalités sont plus grandes pour les
fabricants de faux billets de banque que pour les
fabricants de faux médicaments, qui peuvent pourtant
tuer. », résume-t-il.
-
Une idée originale de Francis Vailles
UN MARCHÉ EN
ÉBULLITION ENTRE 2000 ET 2012
680 % hausse du
nombre d’injections de toxine botulinique
En 2000 : 0,786
million
En 2012 : 6,1
millions
205% hausse du nombre
d’injections d’agents de remplissage
En 2000 : 0,652
million
En 2012 : 2 millions
-16% chute parallèle
du nombre de traitements esthétiques chirurgicaux
En 2000 : 1,9
million
En 2012 : 1,6
million
Source 2012: American Society of Plastic
Surgeons (ASPS)
En 2011
1,7 milliard somme dépensée par les Américains pour
subir des injections de protéine botulinique ou d’agents
de remplissage. Il s’agit des deux traitements les plus populaires de
tous chez les 35-50 ans.
91% des adeptes sont des femmes
9% sont des hommes
Après coup, environ deux clients sur trois estiment que
ce type de traitement en valait la peine, selon les
usagers du site RealSelf.com
NOMBRE D’ADEPTES
PAR TRANCHES D’ÂGE
18 ANS ET MOINS :
0,2%
19-34 ANS : 13,5%
35-50 ANS : 45,9%
51-64 ANS : 30,9%
65 ANS ET PLUS : 9,5
%
Source :
15th Annual Cosmetic Surgery National Data Bank Statistics,
The American Society for Aesthetic Plastic Surgery.
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